Apprendre tout au long de la vie

  Publié le 10 Sep 2012 01:09

La nécessité d’apprendre tout au long de la vie est une idée maintenant admise par tous. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Il s’agit, en fait, de regarder l’éducation comme un continuum qui se développe de la petite enfance jusqu’à la fin de vie. Elle englobe toutes les opportu­nités d’apprentissage : éducation familiale, éducation formelle de la maternelle à l’université, l’éducation non formelle et informelle, la formation profes­sionnelle, l’éducation populaire, l’auto-formation, la formation par le travail, la formation par l’action dans la société civile, les universités du temps libre. Elle se définit comme « les activités d’apprentissage, entreprises à tous moments de la vie, dans le but d’améliorer les connaissances, les qualifications et les compé­tences, dans une perspective personnelle, civique, sociale et/ou liée à l’emploi ». Mais, bien qu’elle fasse l’objet d’une unanimité, l’idée d’apprendre tout au long de la vie reste confuse et incomprise. Elle est parfois perçue comme un retour à l’école et peut rappeler une situation d’échec. Dans le cadre d’une rupture professionnelle, elle s’apparente à une« bouée de sauvetage » ou à un « Sos Formation ». L’éducation tout au long de la vie est assimilée, à tort, à la formation continue des adultes, voire à une seconde chance ou un rattrapage. Un effort de clarification s’impose.

Un long processus depuis Confucius : L’idée d’ap­prendre tout au long de la vie est aussi ancienne que la civilisation. Confucius, philosophe chinois (-551-479 av JC) avait déjà recommandé : « Revoyez sans arrêt ce que vous savez déjà. Etudiez sans cesse du nouveau. Alors vous deviendrez un maître ». Jusqu’au XIXème, des philosophes, chercheurs, religieux, acteurs économiques et sociaux, élus ont plaidé pour une éducation permanente. Ce fut le cas, entre autres de Luther, Rabelais, Comenius, Grundtvig et Condorcet. A noter qu’au VIIème siècle, une hadîth prophétique préconisait : « Rechercher le savoir du berceau à la tombe ». C’est au cours de la société industrielle qu’est apparue la nécessité de développer une formation continue. C’est aussi en 1809 qu’un dénommé H. Chard (Usa) invente une machine à enseigner la lecture, appelée Mode of Teaching Reading qu’il fait breveter. C’est le premier brevet connu pour une machine à enseigner.

L’après-guerre est marquée par l’introduction d’un droit humain dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme en 1948 (article 26) : « Toute personne a droit à l’éducation ». En 1964, dans sa théorie du Capital humain, Gary Becker, économiste américain, considère que « du point de vue de l’individu, l’éducation est un investissement. Cette théorie va exercer une influence auprès des acteurs économiques et politiques car elle démontre qu’il existe un lien entre niveau de formation et produc­tivité. En 1967, La Conférence internationale sur la « Crise mondiale de l’Éducation », qui s’est tenue à Williamsburg (Virginie, États-Unis) a fait preuve d’une étonnante lucidité. A partir des années 90, l’éducation tout au long de la vie est devenue un thème présent dans les discours, surtout depuis le rapport de Jacques Delors : « L’éducation : un trésor est caché dedans » ( 1996 – Unesco), dans lequel l’auteur affirmait : « L’éducation tout au long de la vie est la clé d’entrée dans le XXIème siècle ».

Enfin, les années 2000 consacrent le « lifelong learning » comme élément constitutif de la société de la connaissance.

Les systèmes traditionnels d’éducation et de forma­tion sont fortement influencés par douze tendances lourdes, dont la convergence forme la révolution éducative :

1 – Le développement massif des nouvelles tech­nologies ;

2 – La mondialisation ;

3- L’entrée dans la société de la connaissance ;

4 – L’obsolescence rapide des savoirs et des tech­niques ;

5 – La multiplication des lieux de savoir ;

6 – Le développement des apprentissages informels et non formels ;

7 – L’émergence d’un marché mondial de l’éducation ;

8 – L’externalisation vers une multitude d’acteurs ;

9 – La territorialisation ;

10- La mobilité des emplois et des salariés ;

11- L’allongement de l’espérance de vie ;

12- La reconnaissance des acquis de l’expérience.

Sous l’effet de la mondialisation et de l’explosion d’Internet, naît un « Réseau mondial d’apprentis­sages tout au long de la vie » qui permet à une grande partie des citoyens de la planète d’accéder à des bases de données en tous lieux et à tous moments. Par ailleurs, la connexion de l’ensemble des écoles locales, des écoles secondaires, des universités et des centres de recherche crée un « Espace mondialisé d’intelligence collaborative ». Des dispositifs transfrontaliers d’éducation et de formation se mettent progressivement en place et s’adressent à la plupart des citoyens de la planète, en tous lieux et indifféremment, quel que soient leur niveau, leur profession, leur lieu de vie ou leur âge. Ils sont dirigés par des établissements scolaires et universitaires, auxquels s’ajoutent des nouveaux acteurs prove­nant des télécommunications, de l’informatique et de la communication, voire de la société civile et de groupes religieux. Les apprentissages tout au long de la vie ne s’adressent plus seulement aux élèves et étudiants, dont le nombre est évalué au plan mondial à 1,4 milliard mais s’intéressent aux 6,8 milliards d’habitants de la planète, tous apprenants, dont 770 millions d’analphabètes. La même logique s’applique au niveau local et territorial ce qui explique l’émergence de « villes apprenantes » et de « régions apprenantes » où l’approche éducative concerne toute la population. A côté ou en parallèle de l’édu­cation nationale traditionnelle naît une éducation à la fois locale et globale et en partie numérisée. Ce qui conduit à s’interroger sur le phénomène de « gloca­lisation » (contraction des mots global et local) initié par sociologue Britannique Roland Robertson dans les années 1990. Pour sa part Koïchiro Matsuura, ex-directeur général de l’Unesco affirmait en clôture du 1er forum mondial de l’éducation et de la formation tout au long de la vie (Unesco-29.10.2008) :

« Il nous faut accomplir une révolution copernicienne : ce n’est plus le savoir qui tourne autour de la société, mais la société qui tourne autour du savoir ».

Toute révolution instaure de manière irréversible un ordre nouveau. Aussi, la question se pose de savoir quelle forme prendra ce nouvel ordre éducatif. Nous n’en connaissons pas encore l’architecture exacte, mais nous pouvons déjà entrevoir quelques élé­ments de cette nouvelle configuration : Le « village planète » aura son école du village. Ce sera le « Réseau mondial des apprentissages tout au long de la vie », dont Internet sera une des salles de classe. Les nouveaux systèmes d’apprentissages seront hybrides et seront constitués de séquences en présence d’un professeur, de moments de « e-learning », de tutorat électronique, d’évaluation en ligne. L’autoformation prendra une place importance dans cet ensemble. Les apprenants seront les futurs dix milliards d’habitants de la « Planète apprenante ». La plupart seront connectés par leur environnement numérique à domicile ou dans des locaux collectifs. Les bibliothèques numériques sont déjà ouvertes 24h sur 24h. Les cours des professeurs seront disponibles en téléchargement. Comme l’a affirmé Bill Gates, Pdg de Microsoft : « Dans cinq ans, le Net sera la nouvelle méthode d’apprentissage. Vous serez en mesure de trouver le meilleur des confé­rences mondiales gratuitement sur Internet. Ce sera mieux que dans n’importe quelle université ».

Ainsi, la nouvelle architecture des apprentissages tout au long de la vie reconfigure les systèmes traditionnels d’éducation initiale et de formation continue des adultes. Elle est locale et transnationale et se construit en dehors de toute régulation. Elle est porteuse de valeurs très éloignées de celles de l’école républicaine française, gratuite, laïque et obligatoire. Aussi, le défi à relever est de ne pas subir la révolution éducative en cours mais d’en être les acteurs. C’est un immense chantier pour les prochaines décennies. D’autant que la « planète apprenante » compte encore 70 millions d’enfants non scolarisés.